Productivité de la France : le sombre diagnostic du Conseil National de Productivité.

Publié le 18 avril, mais éclipsé par l’incendie de Notre Dame de Paris, le Grand Débat et les gilets jaunes, le premier rapport du Conseil National de Productivité (CNP) a été bien peu commenté. A tort. Car il pointe sans concession plusieurs des principales insuffisances de notre pays.

Créés à la demande du Conseil de l’Union Européenne dans chaque état membre, les CNP sont composés d’économistes chargés de réfléchir aux raisons pour laquelle la croissance de la productivité ne cesse de ralentir depuis les années 70 dans les pays industrialisés. Une question essentielle quand on sait, depuis Schumpeter, que celle-ci alimente la progression du PIB et donc le niveau de vie futur des populations.
Une baisse de la productivité horaire en France comme dans les autres pays de l’OCDE.
Le CNP français a livré le 18 avril son premier rapport sur la situation du pays. Il rappelle que celui-ci dispose d’un niveau élevé de productivité, semblable à celui de l’Allemagne (ou des Etats-Unis - cf blog de janvier 2017 de T. Piketty dans le Monde). Mais il n’en demeure pas moins que si sa productivité horaire s’est redressée entre 2012 et 2017 de 0,8% par an en moyenne (contre 0,2% entre 2007 et 2012), elle est loin d’atteindre les niveaux des années précédant la crise financière (1,3% entre 2000 et 2007, 2,1% entre 1985 et 2000). Cette tendance, apparue d’ailleurs dans la plupart des pays de l’OCDE, alimente la crainte d’une « stagnation séculaire » et fait conclure au Prix Nobel d’Economie américain Robert Solow, qui avait pourtant mis en avant en 1956 le rôle crucial du progrès technique dans la croissance économique : « l’âge de l’informatique est partout, sauf dans les statistiques de la productivité ».
Une insuffisante diffusion des innovations et une inadaptation des organisations.
Le rapport du CNP met en avant plusieurs facteurs explicatifs : une orientation de la structure productive vers des secteurs à plus faible productivité que sont les services par-rapport à l’industrie, un essoufflement de la contribution des technologies de l’information et de la communication (TIC) à la croissance, une plus grande dispersion des productivités entre entreprises… Mais l’argument essentiel nous semble celui avancé dans plusieurs études par Brynjolfsson et McAfee, qui est celui du temps nécessaire à des technologies à usage multiple pour se diffuser largement. L’électrification a pris plus de nombreuses années avant de produire des effets significatifs sur la productivité. Il a fallu à l’époque équiper toutes les infrastructures, les entreprises et les foyers, mais il a surtout fallu modifier les organisations. Selon les auteurs, il en est de même pour les troisième et quatrième révolutions industrielles. S’il est encore difficile de voir dans les statistiques macro-économiques leur impact, c’est de fait plus facile au niveau micro-économique. On ne compte plus en effet les rapports de l’OCDE ou de grands cabinets de consulting qui mettent en évidence l’hétérogénéité des chiffres de productivité entre les entreprises les plus efficaces (à la frontière de la technologie) et les autres. La léthargie actuelle qui frappe nos économies s’expliquerait donc plus par une insuffisante diffusion des innovations disponibles et une inadaptation relative des organisations à les recevoir, qu’à une inefficience de ces nouvelles technologies.
Un déficit de compétences et de management
Et que nous dit le rapport du CNP sur les capacités de la France à accélérer cette mutation ? Son diagnostic est, hélas, sombre ! « Les compétences des adultes en France sont inférieures à la moyenne des pays de l’OCDE, avec une déqualification au fil de la vie active, notamment par manque de formation continue et en particulier chez les salariés les plus précaires. (…) Cela pose problème compte tenu des exigences croissantes liées à l’évolution de la technologie ». Ou « les enquêtes sur la qualité du management et des pratiques organisationnelles au sein des entreprises révèlent un score moyen de la France dans le domaine ; (…) en conséquence, les entreprises françaises accusent un retard dans l’adoption et la diffusion des TIC ». Ou encore « les performances françaises en matière d’innovation apparaissent nettement inférieures à celles des principaux pays européens en pointe dans ce domaine ».
L’urgence de la formation continue.
La croissance future sera pourtant portée par l’innovation organisationnelle, nécessaire pour tirer parti des avantages des nouvelles technologies et l’adaptation des compétences. Cela implique des investissements considérables dans l’éducation et surtout la formation tout au long de la vie. A cet égard, la réforme d’avril 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » n’est qu’un bien timide pas en avant, très loin de l’enjeu réel. C’est à une révolution copernicienne qu’il faut procéder, impliquant de façon beaucoup plus importante les entreprises, les branches professionnelles et les syndicats. Selon Korn Ferry, 85,2 millions de salariés qualifiés manqueront dans le monde d’ici 2030, représentant une perte d’opportunités de 8 ,5 milliards de revenus. La France figurerait parmi les quatre pays les plus touchés avec un déficit de 1,5 million de travailleurs. Le CNP vient nous rappeler fort opportunément qu’il s’agit là d’un enjeu majeur sur lequel se pencher sans tarder.
La nécessité de l’évolution de l’organisation des entreprises.
Mais il souligne également la nécessité de faire évoluer plus rapidement l’organisation des entreprises. Celles-ci restent encore bien souvent trop hiérarchisées, peu ouvertes sur l’extérieur, organisées en silo. Si elles ne comprennent pas rapidement qu’elles doivent se transformer pour être centrées sur leurs clients, flexibles, collaboratives, et à l’écoute de leurs salariés, alors elles risquent tout simplement de disparaître. « 90% des nouvelles sociétés qui menacent les leaders d’aujourd’hui ont été créées par des personnes de moins de 35 ans », constatait S. Bazin, le PDG d’Accor, en 2013. Celles-ci ont procédé à une véritable révolution managériale qui a pour nom : lean startup, méthodes agiles, management libéré, open innovation… Les entreprises traditionnelles ne peuvent pas ignorer ce phénomène et doivent s’adapter à cette nouvelle concurrence, au risque sinon d’être moins efficaces, de voir partir progressivement leurs meilleurs collaborateurs et de finalement disparaître. De leur capacité à trouver rapidement leur nouveau modèle d’organisation dépendra leur croissance future et plus globalement la santé économique du pays.

Christophe VICTOR - Consultant, auteur, conférencier.


Pour approfondir : « Révolution digitale : transformer la menace en opportunités ». Christophe VICTOR – Lydia BABACI-VICTOR (Eyrolles, avril 2017).
« Le monde qui vient ». Christophe VICTOR (à paraître, Plon, septembre 2019).

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